La pauvreté et la faim, moteurs du soulèvement au Myanmar

La pauvreté et la faim, moteurs du soulèvement au Myanmar



Reuters

par Bill Tarrant KUALA LUMPUR (Reuters) - La crise couvait depuis longtemps et le doublement du prix du carburant par la junte
birmane le mois dernier a été le déclencheur du mouvement de protestation le plus important au Myanmar depuis vingt
ans. Lorsqu'elle a accédé à l'indépendance après la Seconde Guerre mondiale, la Birmanie était l'un des pays les plus
riches d'Asie. Après des décennies de mauvaise gouvernance, elle est devenue l'une des nations les plus pauvres de la
planète, avec un revenu par habitant estimé à seulement 200 dollars. Plus d'un quart des 56 millions d'habitants vivent avec moins d'un dollar par jour et la hausse annoncée le 15 août a
plongé des dizaines de milliers de gens dans le désespoir. En mai dernier déjà, un ancien directeur d'école, U Sein, 82 ans, qui vit avec sa femme Daw Nu, 80 ans, racontait à
Reuters que son niveau de vie n'avait cessé de baisser depuis vingt ans, lorsqu'il a pris sa retraite. "Ma retraite mensuelle me permet seulement d'acheter aujourd'hui deux tasses de thé. Il y a vingt ans, elle
suffisait à notre subsistance", expliquait-il. Le coût de la vie était déjà monté en flèche après le soulèvement avorté de 1988 mais, selon la population, il a
vraiment explosé l'année dernière. "En une année, nous avons vu des augmentations incroyables", déclare Ma Ahmar, derrière son étal. "Le viss de
poulet (1,7 kg environ) est passé de 3.000 kyat à 5.500 kyat (600 euros environ) en un an, tandis le kilo d'huile de
palme est passé de 1.250 à 2.300 kyat (250 euros environ). Quant à l'eau potable et l'électricité, ce sont des produits de luxe. "Nous faisons la queue pendant une heure pour avoir deux seaux d'eau du lac", explique Ko Myint Oo, un habitant
de Dala, à côté de la capitale. En 1988 déjà, les conditions de vie avaient conduit les Birmans à l'insurrection lorsque les généraux avaient décidé
d'augmenter le prix du riz et de dévaluer le kyat, anéantissant en une nuit les économies de leurs administrés. "C'est désespérant", juge Sean Turnell, enseignant à l'Université Macquarie, en Australie, coauteur d'un ouvrage
consacré à l'économie birmane. "La classe moyenne birmane vend tous ses biens pour survivre. Les gens ne vont même
plus travailler à cause du coût des transports." "Les gens sont fatigués et se demandent 'que faire ?'". RUINE DES PETITES ET MOYENNES ENTREPRISES Le stoïcisme dont a fait preuve le peuple birman, qui vit sous la dictature depuis 45 ans, a été ébranlé en novembre
dernier lorsqu'a commencé à circuler une vidéo du mariage somptueux de la fille du chef de la junte, le général Than
Shwe. Les premières manifestations ont eu lieu en février, lorsqu'un "Comité du développement du Myanmar",
parfaitement inconnu jusqu'alors, a appelé la junte à prendre des mesures pour répondre à l'inflation, aux problèmes
d'éducation et à la faiblesse des infrastructures. Le déficit public se creuse à une telle vitesse que le gouvernement a renoncé à publier ses comptes depuis
l'exercice 2001-2002. En déplaçant la capitale de Rangoun à Naypyidaw (construite pour un coût de 300 millions de dollars), le
gouvernement a encore augmenté la dette publique et le coût de fonctionnement des institutions, déjà plombé par
l'entretien de l'armée, dont les effectifs ont doublé en 10 ans pour atteindre 375.000 hommes. Pour réduire les déficits, le régime a augmenté presque tous les impôts, conduisant les petites et moyennes
entreprises à la ruine, explique un universitaire qui veut garder l'anonymat. "Quoi qu'en disent les gens, le régime doit réaliser que la cause principale du soulèvement de 1988 n'était pas la
soif de démocratie mais juste une aspiration à une vie meilleure." Les sanctions économiques imposées par les Etats-Unis et la Grande-Bretagne ces dix dernières années ont sans
aucun doute eu un impact sur l'économie birmane. Mais certains experts se demandent si ces sanctions ne punissent pas
davantage le peuple que ses gouvernants. "Cela fait le jeu des militaires", déclare Tom Green, directeur exécutif de Pacific Strategies and Assessments. "A long terme, ces sanctions peuvent faire fondre la richesse des plus aisés, qui sont justement ceux qui sont
capables de défier les généraux."